In Memoriam: Patriarche Ignace IV d’Antioche (1921-2012)

mjoa Friday December 7, 2012 128

Je laisse à d’autres, et ils seront nombreux, de parler des réalisations du patriarche Ignace, durant son long parcours en tant qu’évêque, puis patriarche de notre Eglise d’Antioche. Je préfère me limiter à l’homme qui se cachait, dans la timidité et la discrétion, sous des aspects divers qui parfois donnaient une fausse image de sa vraie personnalité. Je préfère rendre un témoignage personnel à celui dont l’affection ne m’a jamais manqué.
Le plus loin que me porte ma mémoire, je vois le père Hazim, comme on l’appelait alors, jouer un rôle d’importance dans l’initiation à l’Orthodoxie d’un grand nombre d’entre nous et leur engagement dans l’action ecclésiale. Un des plus anciens membres du Mouvement de la Jeunesse Orthodoxe (MJO), il était devenu, au début des années 1960, un passage obligé pour tous ceux qui étaient concernés par le renouveau du patriarcat d’Antioche. Il dirigeait alors le collège orthodoxe de l’Annonciation, à Beyrouth qui était devenu, grâce à son dynamisme et ses efforts, une des meilleures écoles du pays. Il était débordant d’activité. On le trouvait partout Non seulement au sein de l’Eglise orthodoxe locale, mais à travers Syndesmos, les amitiés forgées à l’institut saint Serge de Paris et sa participation à divers congrès internationaux au sein de l’Eglise universelle. A côté de ses pairs, Il représentait notre Eglise dans les cercles œcuméniques et culturels, qui faisaient alors leurs premiers pas au Liban. Il a joué un rôle moteur dans le comité en charge de la fondation de l’Institut théologique saint Jean Damascène de Balamand, qu’il a dirigé par la suite des années durant. On ne parlait pas alors d’une université orthodoxe, mais je suspecte qu’il en avait déjà l’idée et attendait son heure.
Beaucoup de ceux qui, comme moi, ont rejoint les rangs du MJO à cette époque, surtout à Beyrouth, l’ont eu pour père spirituel, ‘chef d’équipe’ et dirigeant inspiré et inspirant. Aux côtés du père Georges (Khodre) (maintenant métropolite du Mont-Liban), de feu l’archimandrite Elias (Morcos), (fondateur et higoumène du monastère saint Georges de Deir el Harf), d’Albert Laham, de Costy Bendali, de son frère feu le père Paul (devenu métropolite du Akkar), de Youhanna Mansour (maintenant métropolite de Lattakié) et de Spiro Jabbour (maintenant diacre et moine de Deir el Harf), Il était une des incarnations vivantes les plus marquantes du renouveau antiochien. Son retour à Dieu aujourd’hui, et cette liste que je viens de citer, me rappellent tous ces visages lumineux, ces ‘anciens’, nos ‘pères’, dont le souvenir restera vivace dans nos cœurs et notre Eglise, pour de longues années. Avec un serrement au cœur, je réalise que bientôt le Seigneur les aura rappelés tous à Lui, et qu’il nous faut être dignes de l’héritage qu’ils nous ont, ou auront laissé.
Encore à l’université, nous nous réunissions avec lui chaque semaine, en équipe, pour méditer l’Evangile, discuter de divers thèmes de société et d’église, ou tout simplement l’écouter. Inconscients de l’heure et oubliant ses multiples autres responsabilités, on faisait durer ces réunions, sans aucune objection de sa part.
Le dimanche, et chaque mercredi en cours de semaine, nous participions à la Liturgie eucharistique qu’il célébrait dans l’église attenante au Collège de l’Annonciation, où de nombreux fidèles d’autres paroisses venaient, rien que pour entendre ses sermons. Toujours concis, clairs, insistant sur une idée force, ils rappelaient que le message évangélique concernait chacun. Les sermons étaient alors rares dans nos églises. Quand il y en avait, ils foisonnaient d’idées et parfois de banalités, comme si en en disant trop, on avait tout dit.
En été, il était le prêtre de paroisse d’un centre de villégiature, Sofar, où certains d’entre nous estivaient. Cette proximité durant de longs mois de vacance, et le fait qu’il partageait, à part les liturgies et les réunions, nos excursions et autres activités sociales, nous ont encore plus rapproché, avec nos familles, de lui.
Ce ‘compagnonnage’, qui a duré plusieurs années, nous a permis de savoir qu’il vivait une vie ascétique. Rien qu’à le voir manger si peu, on s’en serait douté. Mais je voudrai faire part d’une expérience vécue, qui m’a longtemps impressionné. J’étais passé chez lui, au Collège, pour l’accompagner à une quelconque réunion. Il était toujours précis et nous apprenait toujours à respecter les horaires. Mais, ce soir-là, contrairement à son habitude, il semblait vouloir faire trainer les choses. Et comme je le pressais, lui disant qu’on était attendu, il m’avoua simplement qu’il attendait que sa seule paire de chaussures, qu’il avait envoyé réparer, lui soit rendue avant de partir! J’ai eu, par la suite, plusieurs occasions, de me rendre compte que, malgré les honneurs dont il était entouré, il avait su garder la simplicité de vie, expérimentée dans son village de naissance, en Syrie. Devenu évêque, puis patriarche, il a frayé avec les plus ‘grands’, mais n’a jamais perdu son approche humble des hommes et des choses. La société de consommation l’horripilait. Par sa façon de vivre, il voulait nous apprendre qu’on pouvait s’y opposer et limiter ses outrances. Que dire de plus ? Je crois que cette humilité et cette simplicité de vie seront beaucoup plus importantes, aux yeux de Dieu, que les réalisations et les œuvres qu’il a entreprises, sans pourtant lui en retirer le mérite.
Pour terminer, je voudrai faire référence à quelques textes peu connus du patriarche Ignace, concernant les rapports internes entre les Eglises orthodoxes, la diaspora et les relations avec l’Eglise de Rome. Je pense qu’ils donneront un jour nouveau sur sa pensée et son action, et montreront que certaines initiatives, prises par la suite dans le monde orthodoxe et chrétien, étaient siennes à l’origine.
Dans une lettre, adressée au patriarche œcuménique Bartholomée, le 20 septembre 2001, il écrit sur la situation de l’Eglise sur le continent américain :
‘Si nous appelons de nos vœux et dans nos prières le jour où Dieu nous (les Eglises-mères) donnera de définir ensemble les contours d’une Eglise orthodoxe, une sur le continent nord-américain, les relations présentes et à venir entre chacune des juridictions et son Eglise-mère ne doivent pas être perçues comme simplement des relations administratives et juridictionnelles. Elles doivent plutôt être orientées vers un renforcement du lien profond et vivifiant que ces juridictions entretiennent avec la Tradition Apostolique, par l’intermédiaire de leurs Eglises-mères. Il faudrait rappeler que la voie vers l’unité de l’Orthodoxie en Amérique consiste à aller plus avant dans une application plus stricte des décisions de la Conférence pré-conciliaire et tenter de les développer en amenant la SCOBA à créer encore plus de plateformes de rencontre entre les orthodoxes pour encourager davantage les échanges entre les instituts de théologie, le dialogue entre les monastères, une coordination maximale entre les mouvements de jeunesse, une traduction commune en anglais des textes liturgiques, un jumelage systématique entre les paroisses, etc. L’unité doit se faire à petits pas, certes autour de la SCOBA, mais aussi au niveau du peuple de Dieu tout entier. Ces initiatives devront être accompagnées d’une réflexion approfondie sur les liens à maintenir avec les Eglises-mères et la richesse qu’ils peuvent apporter à l’ensemble des juridictions, si elles veulent bien les partager entre elles. Dans ce domaine, il nous faut développer dans la continuité. Œuvrer pour l’unité sur le sol américain ne veut pas dire couper les liens avec les Eglises-mères, mais les redéfinir dans le dialogue de la charité et dans la communion. Toutes ces initiatives créeront une véritable dynamique d’unité sur le sol américain, à la fois ancrée dans la Tradition Apostolique et veillant à fructifier les charismes acquis dans le Nouveau Monde. C’est cette dynamique qui amènera nos fidèles à accueillir dans la louange et la joie cette unité au temps où le Seigneur jugera bon de nous la donner’.
Dans une autre lettre au patriarche œcuménique, en date du 8 novembre 2001, il avoue que :
‘La situation de discorde et le manque de symphonie véritable qui prévalent, dans chacune des Eglises orthodoxes et entre elles, est un objet de scandale, non seulement pour leurs propres fidèles, mais pour l’ensemble de la chrétienté’.
Et il poursuit :
‘Devant la gravité de la situation présente de notre sainte Eglise orthodoxe, les divisions sans nombre qui déchirent la tunique du Christ et l’urgence de mettre fin à nos dissensions internes, je me permets de me ‘prosterner en esprit devant vous et de vous supplier’ de prendre les initiatives nécessaires pour une réconciliation générale des patriarches et des Eglises orthodoxes, quel qu’en soit le prix. Il y va de la crédibilité de notre témoignage aux yeux de nos fidèles et du monde. Il nous faut témoigner dans nos actes, et pas seulement en paroles, de l’espérance qui est en nous. L’histoire frappe aujourd’hui à nos portes. Allons-nous faire la sourde oreille?’.

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