Version française de l’éditorial publié par Carol SABA le 10 mai dernier dans les colonnes du quotidien libanais à tirage national AN NAHAR
Voilà que la fête est passée, ô notre évêque bien aimé, la fête de la Pâques du Seigneur, et nous t’attendons. Il ne t’échappera pas, là où tu es, que le Christ est ressuscité, car Il se niche dans tous les recoins de ton être et tu l’entoures en ton sein avec tendresse. Lui qui t’a édifié pasteur et guide pour Son peuple dans l’exemplarité et la capacité, pour les temps joyeux et les temps d’épreuves.
C’est la première fois, depuis que le Seigneur a fait croiser nos chemins, nous mettant en phase, en discussion permanente, pour le service de Son Eglise, que je t’adresse la salutation pascale par les médias et non pas par le contact direct personnel. Mes paroles ne cherchent pas là, à venir te fortifier dans l’épreuve, toi qui es toujours pionnier dans la vision ecclésiale et les chemins de la pastorale toujours actualisée et du témoignage chrétien dans le monde d’aujourd’hui. Je ne vais pas te fortifier, toi qui es constant avec droiture dans la sainte patience. Même si la terre tremble sous tes pieds, tu gardes le discernement que nous accorde la parole du Seigneur en nous disant :
« Vous donc aussi, vous êtes maintenant dans la tristesse, mais je vous reverrai, et votre cœur se réjouira, et nul ne vous ravira votre joie »
(Jean 22, 16). Et le Christ, cher Monseigneur, ne revient pas sur Sa parole. Il accorde un délai mais ne délaisse point. Nous restons alors, nous autres, constants dans l’espérance, accrochés à cette parole du Seigneur, conscients du rôle qui est le nôtre, ici et maintenant. Ils ont cru qu’en te privant de liberté, ils te saisissaient. Même prisonnier, avec les mains ligotés, comme ils l’ont fait pour le Seigneur, tu restes libre sans contraintes, envolé en Christ, car celui qui a accosté et qui reste collé à Celui qui « saisit tout », le Pandokrátor, n’est point saisit par une main humaine, ni par une quelconque volonté d’ici-bas. Mes paroles ici ne sont pas une tentative de lecture de l’auteur, de l’inspirateur et/ou du conspirateur de ton enlèvement, ni de celui ou de ceux qui en tirent bénéfice. Il se peut qu’ils soient nombreux ceux qui en profitent d’un tel acte, tellement il nous semble ombrageux, confus et plein de ramifications.
Mais ce que je vois, Monseigneur, dans ton enlèvement, est qu’il constitue un tournant significatif dans cette fournaise qui ne faiblie pas dans ces contrées syriennes bienaimées. Car ce qui est visé par votre enlèvement, toi et ton compagnon en Christ, le métropolite Youhanna (IBRAHIM), c’est le modèle de l’homme « pont », le modèle du pacificateur, le modèle de la modération, de l’ouverture et du dialogue.
Ceux qui sont visés, ce sont les personnes qui édifient des ponts, les ponts du lien et de l’interaction positive entre les différentes composantes de la société syrienne. Ce qui est visé, c’est la société de coexistence, la société de rencontre entre les différentes composantes dans le cadre d’un Etat civil qui embrasse tout le monde dans l’égalité des droits et des obligations, un Etat qui préserve la diversité, car celle-ci enrichie et n’exclue point. Nous autres, ô Monseigneur, nous sommes conscients que notre témoignage irénique du Christ ressuscité des morts, implique dans cet Orient meurtri, des risques majeurs, dont la persécution.
Le Seigneur nous en a avertis lors de la Sainte Cène : « Le serviteur n’est pas plus grand que son maître; s’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront vous aussi » (Jean 15, 20) Mais Il nous a demandé aussi, de rester ferme, constant, droit dans nos bottes, dans notre témoignage avec audace et intelligence, afin qu’il soit, aujourd’hui plus que jamais, un témoignage d’efficacité et de « présence » active, irénique et pionnière, au-delà de la simple « existence ». Qu’il soit le témoignage de l’ouverture qui refuse le repli, le témoignage de la traversée vers l’autre qui refuse l’éloignement de l’autre, le témoignage de la rencontre qui refuse la dispersion, le témoignage du dialogue qui refuse toutes les formes de monolithisme et d’uniformité de la pensée, de la parole et de l’approche, le témoignage de l’étreinte nationale qui refuse toute forme d’exclusion, le témoignage de la liberté qui refuse toute forme d’oppression, le témoignage de la personne humaine libre et de la dignité de son vécu, le témoignage de l’unité qui reconnait la diversité.
Ce qui est visé par ton enlèvement, c’est la capacité de se retrouver de nouveau et de servir l’être humain quelles que soient sa religion, sa confession, et son appartenance. Ce qui est visé, c’est la modération nationale courageuse, et le refus de l’alignement derrière les projets de confessionnalisme et/ou de totalitarisme uniformes, en tout genre.
Toi, et ceux qui sont, à ton exemple, des êtres armés d’espérance, vous constituez un danger pour de tels projets, et ton enlèvement est une tentative d’enlèvement de cette ligne de modération nationale courageuse, enracinée dans cet Orient arabe, qui a toujours été et qui restera la ligne historique de notre patriarcat grec-orthodoxe d’Antioche et de tout l’Orient, pour laquelle œuvre aujourd’hui notre bien aimé Patriarche Jean X d’Antioche, même si la peine entoure son cœur en attendant ton retour pour que notre joie soit complétée et qu’on poursuive la mission avec toi pour un témoignage aimant et courageux, pour une exemplarité d’ouverture à travers laquelle nous partageons avec nos partenaires musulmans une citoyenneté unique, afin de construire ensemble des patries, des Etats et des sociétés arabes qui respectent l’être humain, et de les faire tendre vers le visage de Dieu, à travers le frère humain aussi. En espérant qu’on réalise en permanence que quand grandissent les épreuves, l’espérance grandit aussi !
—- Carol SABA, Paris —–