Constituée de 44 diocèses, l’Église orthodoxe d’Ukraine, qui a le statut d’Église autonome au sein du Patriarcat de Moscou, compte environ 11 000 paroisses et 180 monastères. Son primat est actuellement le métropolite Vladimir (Sabodan).
L’évaluation et l’analyse des événements ecclésiastiques de l’année passée en Ukraine, les défis et les perspectives pour l’Église, sont abordés dans une interview de l’archiprêtre Georges Kovalenko, chef du département synodal de l’information de l’Église orthodoxe d’Ukraine, donnée au site « Pravoslavie i mir ». Outre les événements marquants pour l’Église orthodoxe d’Ukraine en 2011, le père Georges aborde les problèmes liés à l’état de santé du métropolite Vladimir, les tentatives de déstabiliser cette Église, notamment par une campagne visant à la séparer du Patriarcat de Moscou, l’attitude officielle de la hiérarchie ukrainienne en ce qui concerne la politique, et aussi la question de la place de l’Église dans les médias.
– Père Georges, comment s’est présentée l’année 2011 pour l’Église orthodoxe d’Ukraine ?
– Si l’on observe l’année 2011 du point de vue ecclésial, ce fut une année au sujet de laquelle on peut dire : « Gloire à Dieu pour tout ! » Certes, il n’y a peut-être rien eu d’étonnant ou de renversant pour le croyant orthodoxe, mais, certainement, il ne doit pas en être autrement.
Du point de vue des relations Église-société, ou, disons-le, des attentes para-ecclésiales, on peut dire que ce fut l’année d’un pressentiment de bouleversements qui ne se sont pas réalisés.
On peut qualifier l’année 2011 d’année jubilaire. 20 années ont passé depuis l’indépendance de l’Ukraine, 1000 ans depuis la construction de Sainte-Sophie à Kiev, l’ancienne cathédrale des métropolites de l’actuelle capitale, et 450 ans depuis la parution de l’évangile manuscrit de Peresopnitsa, sur lequel les présidents ukrainiens prêtent serment de fidélité au peuple.
Cette année a eu lieu l’assemblée jubilaire de l’Église orthodoxe d’Ukraine, pour la première fois depuis dix-neuf ans. Il a été appelé « jubilaire » parce que qu’il s’est produit après les fêtes des 20 ans du statut actuel de l’Église orthodoxe d’Ukraine, au moment des fêtes liées aux 45 ans du sacre épiscopal du métropolite de Kiev Vladimir, et au seuil des 20 ans de sa présence sur la cathèdre métropolitaine de Kiev.
Beaucoup a été dit dans les médias à propos de l’assemblée épiscopale, et aussi parmi les observateurs orthodoxes, qui exprimaient des pressentiments et des pronostics de quelques renversements. En réalité, l’assemblée s’est déroulée assez calmement, bien que non sans discussions. Les décisions ont été prises pratiquement à l’unanimité, et le fait que se soient prononcés ceux qui avaient un autre point de vue, a confirmé que notre Église rassemble des personnalités différentes. Et aussi que, durant son déroulement, prient Dieu, vivent et travaillent ensemble des personnes aux vues diverses quant à l’avenir de l’Église, quant aux questions géopolitiques, et qui appartiennent à différentes couches sociales. L’Église a démontré sa catholicité et son unité.
Par ailleurs, pour la première fois, nous avons dû affronter, de façon aussi prononcée, une attaque des médias contre l’Église. Des campagnes d’information ont été menées ouvertement contre l’Église, organisées consciemment ou non, depuis l’extérieur. Nous avons appris à vivre avec cette situation, nous avons appris à réagir, et maintenant, nous pouvons dire que, grâce à Dieu, ces campagnes d’informations n’ont pas causé de tort à l’Église.
Le deuxième événement de l’année et qui jusqu’à présent détermine la vie de notre Église, est la maladie du métropolite Vladimir de Kiev. Beaucoup a été dit à ce sujet, mais nous avons réussi, dès le premier jour, à informer les fidèles et la société sur l’état de santé du Primat, de son hospitalisation, des diagnostics. Pour cette raison, disons-le ainsi, ceux dont « l’oeil est impur », en ont « rajouté », au-delà de ce qui était dit dans l’exposé complet, officiellement et de façon véridique par les médias ecclésiastiques.
À cet égard, l’Église connaît aujourd’hui une étape très importante de son développement, lorsque le niveau de responsabilité des institutions ecclésiales conciliaires s’est accru. La maladie du primat n’est pas le décès de celui-ci. Et cette maladie nous a forcés à penser sur la place du primat dans l’Église, sur son ministère. Et, cela peut sembler paradoxal, mais la maladie a rassemblé l’Église autour du primat et autour de la prière pour lui, ce qui est le plus important.
La maladie de Sa Béatitude a servi au renforcement de l’unité de l’Église orthodoxe d’Ukraine, contrairement à ce que certains auraient pu souhaiter. Nous voyons aujourd’hui que pour des milliers de fidèles, c’est la possibilité de prier pour le métropolite, et de comprendre que l’Église est un organisme divino-humain. Sa tête est le Christ, et les fonctions fondamentales du primat est d’unir l’Église, de prier pour elle, et seulement ensuite de l’administrer. Après la période post-athéiste, post-soviétique, des institutions indispensables ont été mises en place, qui sont à même d’aider le primat dans la conduite du vaisseau ecclésial. Ce sont le Saint-Synode, dont la séance a eu lieu en décembre 2011, et l’Administration des affaires courantes, qui siège quotidiennement, et les départements et commissions synodaux, qui sont de facto des « ministères », qui coordonnent la diaconie de l’Église dans tous les domaines. Ce sont les diocèses, qui sont dirigés par les évêques ; les monastères, qui ont leurs higoumènes ; les paroisses ont accomplissent leur ministère des milliers de clercs. Et des millions de personnes qui viennent dans les églises, notamment pour prier pour le primat.
2011 a été également l’année des visites des primats des Églises orthodoxes locales en Ukraine. Nous avons accueilli le patriarche Cyrille à Kharkov, Kiev, Lougansk, et Tchernovtsy. Le patriarche Théophile III de la sainte ville de Jérusalem et de toute la Palestine a également rendu visite à l’Ukraine. À Kiev a séjourné aussi le patriarche-catholicos de toute la Géorgie, Élie II, et ce pour la première fois. Le primat de l’Église de Pologne est également venu en Ukraine.
Mais il y eut aussi de tristes jubilés, celui des vingt-cinq ans de la catastrophe de Tchernobyl et des soixante-dix ans de la Seconde Guerre mondiale.
2011 a été aussi celle de l’expérimentation de manifestations de bienfaisance dans les rues et sur les places de la capitale. À la fin de 2010, au début de 2011 a eu lieu pour la première fois un bazar de Noël à des fins caritatives, intitulé « Trois sacs – de saint Nicolas jusqu’à Noël » sur la place de l’Indépendance. Ensuite, il y eut un bazar de Pâques à la Laure, et à la fin de 2011, de nouveau à la Laure et sur l’avenue Krechtchatik, deux manifestations parallèles ont eu lieu.
C’est une expérience de bienfaisance et de manifestations publiques en-dehors des murs des églises et des monastères, l’aide aux enfants, aux maisons d’enfants, aux personnes ayant des besoins divers. Je pense que ces projets se développeront.
En 2011, se déroula l’assemblée pascale des choeurs d’églises, liée au 25ème anniversaire de Tchernobyl. C’est un événement culturel significatif dans la vie de l’Église et dans celle du pays. En ce qui concerne la musique de la « Liturgie de Tchernobyl » [composée sur le mode de la liturgie pour les défunts] par l’archevêque Joanaphan (http://vladyka-ionafan.ru/music/chernobylskaya-liturgiya), dans le cadre de l’assemblée, elle a été chantée dans quelques villes d’Ukraine et même en dehors des frontières, en Russie et en Allemagne.
En 2011, nous avons eu la visite des reliques de grands saints, à savoir de la sainte mégalomartyre Anastasie « Pharmacolytria » et du saint mégalomartyr Dimitri de Thessalonique. La tradition s’est maintenant établie, lorsque des saintes reliques ou icônes d’importance universelle viennent en Ukraine, qu’elles ne séjournent pas seulement dans une ville, mais elles accomplissent une procession dans tout le pays. Et la particularité du séjour des reliques de la mégalomartyre Anastasie – la protectrice des malades et des prisonniers – est qu’elle a visité non seulement les cathédrales et les monastères, mais aussi les hôpitaux, et les prisons, les lieux de détention provisoire, les pénitenciers. En ce qui concerne les reliques de saint Dimitri, elles ont visité les troupes. Ainsi, le séjour de ces saintes reliques a revêtu un caractère missionnaire.
2011 est l’année des forums de grande envergure, qu’ils soient théologiques, culturels ou scientifiques. Il convient de mentionner deux conférences qui ont été organisées par le département synodal de la jeunesse, le festival des medias orthodoxes qui est déjà devenu une tradition, le festival international du cinéma orthodoxe « Pokrov » qui a eu lieu pour la neuvième fois de suite, les cours de formation et les manifestations et conférences qui ont eu lieu dans les écoles théologiques de Kiev. Ces forums prennent chaque année une plus grande envergure, ils deviennent plus représentatifs, et revêtent également un caractère plus pratique.
– Je voudrais vous demander, comme chef du département synodal d’information de l’Église orthodoxe d’Ukraine, de commenter la situation quant à la couverture de ces « événements clés » par les médias. Vous avez dit que la campagne d’informations autour du concile jubilaire et ensuite, probablement, autour de la maladie du primat, n’ont pas causé de tort à l’Église. Mais la société, pour diverses raisons, notamment les publications critiques dans les médias, considère néanmoins l’Église avec une certaine réserve. Il vous arrive souvent de parler avec les journalistes, donner des commentaires aux médias séculiers. Comment, de votre point de vue, la société perçoit-elle l’Église ? Ce qu’elle voit : est-ce seulement des voitures de luxe, certaines paroisses riches, ou tout le bien que fait l’Église ? Les structures ecclésiastiques d’information, font-elles assez pour montrer l’Église sous un autre aspect, non pas seulement l’aspect « financier » ?
– Premièrement, il n’y a pas de limites à la perfection. Les structures synodales font ce qu’elles peuvent, et ce qui est possible dans les conditions où nous nous trouvons. Et il me semble qu’elles le font avec le maximum d’efficacité, en tenant compte des réalités de nos jours. Je ne suis pas de ceux qui rêvent de ce que l’on ne peut pas faire. Mais cela ne veut pas dire que nous ne comprenons pas quels sont les problèmes, les défis et ce à quoi nous devons travailler.
En disant que les campagnes d’information « n’ont pas causé de tort à l’Église », je pensais avant tout qu’aucune « secousse ne s’est produite à l’intérieur de l’Église, aucune division, aucun événement qui aurait pu réellement gêner les gens sur la voie du salut ». Et pour ce qui est des sujets qui « sont populaires » et qui montrent l’Église sous un aspect négatif, cela n’a rien d’inhabituel ou de terrible.
Il est exact d’autre part que la véritable nature de l’Église ne transparaît pas derrière ces sujets et dans l’orientation générale de ces flots d’informations. Et peut-être est-il impossible de la montrer sur ces chaînes TV et ces moyens qui existent dans l’arsenal du journaliste contemporain. Pour cette raison plus on en « trempe » aujourd’hui dans la sphère médiatique, plus on s’aperçoit qu’elle a été construite sur des principes et des lois visant à attiser les conflits, les aspects négatifs et le « sensationnel ». Or, l’Église n’est pas malgré tout l’endroit où naît le « sensationnel ». Ce n’est pas l’endroit où est fondamental le conflit, où doivent agir la publicité ou le racolage. L’Église, c’est le silence dans la prière, c’est là où l’homme fuit les choses vaines, où il cherche la solution des problèmes et trouve Dieu, et en Le trouvant, change sa vie et son attitude envers celle-ci.
En ce sens, nous devons être reconnaissants envers ces médias et journalistes séculiers qui s’efforcent de parler de la véritable nature de l’Église, de ses fêtes, de ses traditions. Mais en même temps, nous pouvons être reconnaissants à ceux qui tentent de nous montrer sous un jour négatif. De cette façon ils nous aident d’une part, à être enclins au repentir, et de l’autre, à corriger ces défauts que nous ne voyons pas nous-mêmes. C’est-à-dire à nous aider à ôter la poutre de notre oeil, afin que nous puissions calmement parler à la société contemporaine de ses propres défauts.
Il est dommage que l’on ne voit pas ces 90% de véritables prêtres et serviteurs de l’Église, ces moines, qui sincèrement et humblement accomplissent leur obédience dans l’Église. Car on ouvre aujourd’hui des églises et des monastères là, où l’on ferme des écoles et des hôpitaux. Les prêtres vont dans ces endroits habités, qui sont désertés par la jeunesse. Les prêtres vont là où vivent des vieillards de leur seule pension et où l’on ne peut pas parfois se rendre à certains moments de l’année. Des paroisses sont ouvertes, des églises sont construites, des prêtres assurent leur propre subsistance par l’agriculture, se servent de vélomoteurs et non de voitures de luxe. Dans ce domaine, la capitale n’est pas un indicateur. C’est très important pour ne pas se détacher du peuple, et pour être de bons pasteurs, c’est-à-dire être capable d’aider et de consoler. L’Église est le lieu de la prière, mais aussi du service social. L’Église est aussi le lieu de la bienfaisance et des bonnes oeuvres. Il est très important que nos paroisses soient le lieu où l’on organise des bonnes oeuvres, où les hommes n’apprennent pas seulement à demander à Dieu, mais aussi à aider le prochain.
Dans ce sens, certainement, ce ne sont pas tous les ministères sacerdotaux qui ont connu le développement à l’échelle souhaitable. Tant le patriarche que le métropolite de Kiev parlent de cela souvent. Aussi, je pense, on doit s’efforcer de développer la catéchèse, l’oeuvre missionnaire, la bienfaisance, aller dans les écoles, les universités, ce qui, malheureusement n’est pas autant répandu que cela serait souhaitable.
– La Fédération de Russie a été ébranlée, à la fin de l’année, par l’affaire des élections à la Douma. Des événements politiques et sociaux ont aussi affecté l’Ukraine, dont l’arrestation des leaders politiques de l’opposition, Youri Loutsenko, Ioulia Timochenko. Nombreux sont ceux qui attendaient de l’Église une intervention, quelque protestation, quelque appel, étant donné que ces militants politiques entretenaient des relations normales, constructives avec l’Église, alors qu’ils étaient encore au pouvoir. Mais l’Église se tait. Beaucoup le lui reprochent et considèrent qu’elle devait absolument dire quelque chose, faire part de sa position.
– L’Église ne se tait pas, mais elle ne proteste pas non plus. L’Église prie. Et cette réponse n’est pas « formatée » pour les médias contemporains. Lorsque, sur les ondes, on me demanda quelle était ma position au sujet de l’incarcération de Timochenko et de Loutsenko, et pourquoi je ne disais rien, je répondis : « Et que devons-nous dire ? Nous prions ». Et le journaliste ne m’a pas compris…
Il me semble que l’Église n’est pas le lieu des meetings et des protestations. L’Église est le lieu de la prière. Si un croyant chrétien souhaite soutenir de quelque façon l’un ou l’autre des leaders politiques, il ne doit pas pour autant faire des prédications politiques à l’église. Même dans ces questions politiques, le chrétien doit agir chrétiennement. Dans ce sens, la prière est ce qu’il y a de plus juste à faire.
Il ne faut pas condamner ou soutenir les gens qui se rendent aux meetings, il faut prier pour le salut de leurs âmes, les appeler à la paix, au respect mutuel, les appeler à agir dans le cadre des commandements, et non pas seulement dans celui de la Constitution.
Les clercs sont également citoyens de leur État, nous vivons tous selon ses lois, tous nous avons des points de vue politiques différents, mais il me semble que les clercs doivent extérioriser leurs points de vue au moment de mettre leur bulletin dans l’urne, ou encore lors des discussions « à la maison ». Mais depuis l’ambon, ou devant les caméras de télévision, les prêtres doivent parler non de politique, mais de la foi, de l’Église, des commandements divins.
J’ai appris récemment que l’un des fondateurs du groupe « Pink Floyd » avait écrit un opéra classique sur la Révolution française. Il a travaillé douze ans à cette oeuvre. Et lorsque je lus le livret d’accompagnement et la recension concernant cet opéra, une phrase m’a interpelé. Il s’agissait de l’attitude l’Église catholique qui, pendant la Révolution, avait soutenu unanimement le roi, bien que parmi les acteurs de l’opéra se
trouvât même un prêtre-révolutionnaire… C’est peut-être pourquoi le France, aujourd’hui est devenue l’un des pays les plus athées.
Si l’on examine l’époque de la Révolution d’octobre, le patriarche Tikhon n’était pas aussi catégorique. Il donna sa bénédiction pour enterrer les rouges comme les blancs. Il anathématisa les persécuteurs de l’Église, mais il ne dogmatisa, ni ne soutint, de son autorité ecclésiastique, le système du pouvoir comme tel. Peut-être cela a-t-il permis à l’Église de renaître 70 ans après.
Je pense que les actuels hommes d’Église doivent suivre l’exemple du patriarche Tikhon plutôt que celui de l’Église catholique du temps de la Révolution française. Il ne faut pas céder aux tentations et ne pas pointer du doigt les individus dans les procès politiques. L’Église doit vivre sous n’importe quel système politique, n’importe quelle forme de gouvernement, sous n’importe quels dirigeants, et aider tous – gouvernants et opposants – à cheminer sur la voie du salut.
– Mais nombreux sont ceux – notamment parmi les journalistes – que cette « aide » rend perplexes. À l’instar des anciens prophètes qui fustigeaient le pouvoir, ils attendent de l’Église et des clercs qu’ils fassent, d’une certaine façon, entendre raison aux actuels dirigeants de l’État, lorsqu’ils ont réellement tort. Mais depuis longtemps, l’Église ne fustige plus personne…
– Pourquoi l’Église ne fustige-t-elle pas le pouvoir. Qui vous dit cela ?
– Y a-t-il des exemples ?
– L’industrie du jeu en Ukraine. Lisez ces déclarations et ces lettres que le métropolite Vladimir a envoyées aux autorités. Ou encore les déclarations concernant la loi adoptée récemment au sujet de la collecte et de la protection des données personnelles…
Il faut comprendre que les reproches adressés par l’Église doivent avoir pour but la défense de la morale chrétienne. Et l’Église doit réagir lorsqu’il y a des témoignages au sujet de la transgression des commandements et incitation à leur transgression…
Mais regardez ce dont parlent actuellement les hommes politiques. De l’un ou l’autre vecteur de développement du pays, de l’une ou l’autre forme d’administration ou de forme de collecte ou de calcul des impôts, ce ne sont pas des questions où l’Église doit être experte. Mais lorsqu’il est question de problèmes moraux, l’Église ne se tait point.
Si l’on invoque les prophètes, il faut constater que la religion, à l’époque vétérotestamentaire, n’était pas séparée de la vie du peuple, de l’État, et que tous l’observaient obligatoirement. Actuellement, l’Église est séparée de l’État qui confesse ouvertement son caractère séculier.
Et aujourd’hui, si l’Église émet des reproches, elle le fait plutôt au cours de discussions privées. Les discussions des hiérarques de l’Église avec les dirigeants de l’État sont bâties sur la même base que les discussions entre le prêtre et ses paroissiens. Le niveau est différent, mais le principe est le même. Et ce que l’on voit de l’extérieur, ne reflète pas, très souvent, ce qui se passe en réalité. Il est très facile de juger un autre homme pour ses péchés, tout en ne voyant pas son monde intérieur. En outre, Hérode vint voir saint Jean Baptiste pour parler…
Dans ce sens, lorsque se déroule le processus de catéchisation, l’Église est plutôt encline à l’économie (la condescendance), mais quand l’homme est déjà entré pleinement dans l’Église, elle peut alors appliquer l’acribie (la sévérité). C’est-à-dire que les reproches et l’adoption de sanctions ecclésiales sont effectifs lorsque l’homme les accepte lui-même. On ne peut excommunier que celui qui communie et qui connaît la valeur de la communion. Mais lorsque l’homme n’a pas encore compris cette valeur, les sanctions sont ou bien dénuées de sens, ou bien elles deviennent une profanation du sacrement.
Pour cette raison, tant que la catéchisation de la société dans sa totalité, dont celle des dirigeants du pays est en cours, je ne pense pas que les reproches publics soient la meilleure méthode d’amener au Christ les individus, la société et les gouvernants.
De plus, ceux qui détiennent le pouvoir ont leurs traits particuliers, des grands moyens, des possibilités… Accomplir parmi eux un travail catéchétique est assez complexe.
– Au cours de ces dernières années, dans notre société se développe activement la question des «Églises PR (= public relations) » et des organisations religieuses. À cet égard, on peut dire qu’actuellement, les structures ecclésiales de l’Église orthodoxe d’Ukraine, comme étant la confession la plus grande, la plus puissante et connue en Ukraine, travaillent à répondre aux demandes d’information de la société. Que pensez-vous, l’année prochaine et, en général, à l’avenir : les structures d’informations, et en partie, celle qui est dirigée par vous, pourront-elles aller vers la société et ses préoccupations ? L’Église peut-elle donner le ton dans la sphère d’information séculière ?
– J’observe avec consternation le processus de sécularisation des médias, la tendance générale à confiner la thématique religieuse à la périphérie. Bien qu’aujourd’hui nous soyons encore présents sur les ondes, dans les programmes, maintenant déjà devient compréhensible ce que nous disait le primat (il y a cinq à dix ans en arrière) et nous étonnait alors : « Prêchez, tant qu’il y en a encore la possibilité ». Et la limite de ces possibilités, malheureusement, commence à se dessiner.
Pour cette raison, la tâche de l’Église n’est pas de s’auto-promouvoir, mais de prêcher à l’aide de toutes les possibilités dont elle dispose : les journaux, les périodiques, la télévision, Internet. À l’aide de toutes les catégories de médias, donner des commentaires à qui les demande. En paraphrasant la citation du Nouveau Testament, donner des commentaires « avec douceur et humilité ».
C’est dans ce sens que nous devons continuer ce que nous avons commencé, et s’efforcer de créer des nouveaux projets.
Je suis préoccupé par notre manque d’audience aujourd’hui. Ce manque se manifeste par le nombre peu fréquent de visites de nos sites, et aussi par le fait que si les médias ne donnent pas autant de place à la thématique religieuse que nous le souhaiterions, il n’en reste pas moins vrai que les gens ne s’intéressent pas particulièrement à la religion, à l’Église. Pour cette raison il ne s’agit pas de rêver de concurrencer les principales chaînes de télévision, mais d’examiner plus attentivement qui est notre auditoire, quelles sont ses questions (…)
Ce sont des personnes concrètes qui créent tous nos projets, et nous vivons à l’époque de réseaux sociaux, et pour cette raison, nous avons reçu cette possibilité qui est traditionnelle pour l’Église, à savoir la transmission de l’Évangile – la Bonne Nouvelle – d’un homme à l’autre, d’un coeur à l’autre, d’une personne à une autre.
Cette possibilité doit être utilisée, et aussi ne pas s’inquiéter de trop si notre rating, du point de vue de l’attractivité pour les annonceurs n’est pas si élevé que pour les principales chaînes télévisées. Parce que nous ne sommes pas venus gagner de l’argent sur le réseau informationnel, nous sommes venus prêcher le Christ. Nous ne cherchons pas à « promouvoir », il nous faut accomplir un travail de catéchèse correct. Il faut parler aux gens de l’Église, de Dieu, à l’aide des moyens à disposition, de façon maximalement professionnelle, maximalement intéressante, mais non au détriment du sens, de l’essentiel, et sans mensonge.