POURQUOI Je Suis ORTHODOXE

ألبير لحام Thursday March 1, 1945 347

A cette question embarrassante on répondra, peut-être que c’est pour être né orthodoxe que je le suis. Mais non ! Si je n’étais pas convaincu qu’il faut être orthodoxe pour des raisons multiples la loyauté m’aurait poussé à quitter cette Eglise. Je dis bien cette Eglise, car pour moi l’Orthodoxie n’est pas un parti, une caste, mais l’Eglise du Christ sur Terre qui n’a cessé, depuis 20 siècles, de prolonger l’Incarnation parmi nous. Vingt siècles durant, elle a, malgré les schismes et les hérésies, conservé pure et intacte la doctrine révélée, gardé jalousement le trésor de Vérité par la Tradition.

Et cela, les non-orthodoxes eux-mêmes le reconnaissent. « L’Eglise orthodoxe, dit Wisser’t Hoot, détient sous sa forme la plus pure la tradition chrétienne indivise sans y admettre aucune innovation! » Et cela, le Pape Léon XIII l’a confirmé en recourant fréquemment au témoignage des « vénérables Eglises d’Orient », à cause de leur ancienneté. Cependant, il ne faudrait pas voir dans le fait que l’Eglise Orthodoxe a conservé les traditions apostoliques des huit premiers siècles la preuve qu’elle est aujourd’hui plongée dans un conservatisme figé. « C’est une idée fausse de manuel que voir dans l’Orthodoxie contemporaine une survivance pétrifiée de l’Eglise Orientale des premiers siècles. En elle au contraire, on peut reconnaître l’Eglise qui, en évoluant, a gardé le contact avec ses origines mais d’une façon non abstraite en vertu d’un recommencement arbitraire, mais concrète, à cause de la préservation d’une idée directrice tout au long d’un développement organique » (Pasteur L. Boyer).

C’est ainsi par exemple que, pour nous Orthodoxes, l’Eglise n’a pas perdu sa signification de Royaume de Dieu, à base eschatologique. Elle n’est pas devenue pour nous une institution, une société parfaite, mais elle garde son caractère mystique et mystérieux, son atmosphère de « ciel sur la terre ». L’Eglise reste pour nous, avant tout, une réalité mystique qui transcende tout individualisme historique, et ensuite une réalité visible, empirique, qui par son enseignement et son culte exprime strictement et adéquatement la vie divine elle-même, et comprend le christianisme comme l’éminente beauté. C’est toute une conception vivante, apostolique de l’Eglise corps mystique, qui nous charme à tel point que nous résistons difficilement à son attrait.

Ce charme irrésistible est dû en bonne partie à la beauté de la liturgie, à ce qu’elle a de divin de surnaturel et qui lui vient sans doute de la conception du rôle de l’Eglise qui est de transfigurer le cosmos.

En effet, le contenu orthodoxe du rite est inséparable comme le corps est inséparable de l’âme tant que l’homme vit sur terre. « Chaque Kyrie Eleison respire l’esprit orthodoxe, et c’est pourquoi on ne peut, sans violence, unir l’esprit d’une confession avec le rite d’une autre, les formes pouvant alors perdre leur esprit ».

Cet esprit de rites, de dévotions, constitue le cœur même de l’Orthodoxie. Et c’est pourquoi nous, orthodoxes, avons bien le droit d’être fiers de notre liturgie, et de développer en nous son amour. Car nous sommes aussi orthodoxes, parce que l’Orthodoxie est «l’Eglise des Palmes » (W. Monod), l’Eglise des cièrges fûmants non éteints et de la poésie biblique, l’Eglise des Pâques, où l’on s’étreint de joie et d’amour en vivant le Christ ressuscité ? Car notre liturgie n’est pas de la pompe, n’est pas du théâtral mais une réalité symbolique  de grâce et de prière si bien que c’est tout l’Univers qui est symboliquement à l’église.

Et ce cosmisme de l’Orthodoxie est sa grande caractéristique, « l’Eglise a dit, Berdiaeff, est tout ; elle consiste la plénitude de l’être, de la vie du monde, mais dans un état de christianisation. L’Eglise est le cosmos christianisé. »

Ce cosmisme se traduit plus pratiquement par sa potentialité œcuménique plus grande que toute autre Eglise, parce qu’elle est moins actualisée, qu’elle possède donc une vérité dogmatique plus riche et supérieure. Son âme est si vaste qu’elle engloberait tout l’Univers ; ses cadres sont si souples qu’elle contiendrait dans son sein tous les chrétiens, leur offrant la perspective d’un enrichissement sans nul appauvrissement qui le compense. « Au contraire, elle leur offre la communion des Saints dans le Christ total, elle les introduit dans le monde sacramental et dans le flux vital de la Tradition ; mais il n’est rien en elle qui brise en prétendant fixer ; c’est la souplesse de l’organisme et non la raideur de l’organisation ; une religion qui est bien celle de l’Esprit ». (Pasteur Boyer). C’est bien là la religion ouverte, la religion de l’amour, la seule voie possible pou l’union des Eglises » qui ne sera pas le résultat de discussions religieuses ou de réorganisations extérieures mais le fruit de l’œuvre gratuite du Saint-Esprit » (Wisser’t Hooft). C’est pourquoi ce moment peut être proche (Dieu le veuille!) l’état actuel de l’Eglise, malgré ses souffrances et les persécutions, malgré qu’aux yeux du monde elle apparaisse comme terrassée, épuisée, vieille par ses 2000 ans d’existence.

Car l’Eglise souffrante, l’Eglise humiliée comme le Christ, c’est pour nous orthodoxes une raison de plus de lui rester fidèles. C’est cela que lui a promis le Sauveur… mais il lui a promis autre chose aussi: son aide et son appui jusqu’ à la fin des temps.

L’Eglise a vu la mort de tout ce qui existait quand elle a commencé, et elle a survécu à tout, « Maintenant ses ennemies voient l’Eglise et disent : Elle va mourir, les Chrétiens ont fait leur temps, Cependant, je les vois mourir tous les jours, et l’Eglise demeure toujours debout ». (St. Augustin).

Et cependant les faiblesses auraient dû tuer depuis longtemps l’Eglise comme elles tuent les institutions; l’Eglise vie parce qu’elle est forte de la force du Christ.

Comment donc, en face de tant de raisons d’être orthodoxes (et bien d’autres encore!) nous serons découragés devant la tâche du renouveau à accomplir ?

Ne devons-nous pas, plutôt, exalter de joie pour être appelés au travail dans le champ du Seigneur ? « Abandonner l’Eglise à cause de l’insanité de quelque évêque ou d’une crise passagère c’est faire preuve d’un faux sens des proportions. Comme s’il fallait renier sa mère parce qu’elle aurait pris un rhume de cerveau! Le fait que l’Eglise a été flétrie et spoliée n’est pas une raison pour la quitter, mais simplement un stimulant à travailler à son relèvement » (Lockhart). Et c’est à ce relèvement, jeunes Orthodoxes que notre mouvement vous convie.

Albert Laham

Al Nour , Le 1-3-1945, Page 2-4

 

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