LE SIGNE DE LA CROIX

ألبير لحام Saturday September 25, 1943 179

Un des traits caractéristiques de la piété Orthodoxe est la complaisance que prend notre peule à multiplier les signes de croix aussi bien à l’église que dans les menus incidents de la vie journalière. Ainsi, à l’église il est commun de se signer en se prosternant quand on prononce le mot « adorer ». Le Nom de la Trinité, le trisagion  etc.…

Hors de l’église, l’on se signe en prononçant le nom de Satan, pour chasse le « mauvais œil », en face d’une peur ou d’un danger subits, ou d’un grand embarras (même quand on baille). D’aucun même se scandalisant de la légèreté avec laquelle on esquisse ce symbole élevé de notre salut, ils voudraient qu’on usât à son égard de plus de « respect ». Ne risque pas en effet de la vider de tout sens ? ne relève-t-il pas ainsi de rester automatisme plutôt de notre volonté ?

Tout le monde sait comment nous, Orthodoxes, faisons le signe de croix selon la plus ancienne tradition. Mais nous ne savons peut-être pas, même ce que cela signifie. Or il n’est pas de plus grand et de plus profond symbole : par lui nous manifestons notre foi en tout ce que le Sauveur nous a renseignés et fait pour nous : En joignant les trois doigts, nous exprimons notre foi dans la Trinité consubstantielle et indivisible ; les deux doigts courbés jusqu’à la paume nous rappellent notre foi dans la descente du Christ sur terre unissant ainsi en sa personne. Les deux natures divines et humaines. En portant nos doigts, à notre front nous connaissons que le Christ est notre chef et notre principe qui est descendu des cieux qui s’est incarné dans le sein de la Vierge (main descendue à la poitrine) et qui remonte au ciel, est assis à la droite du Père (main portée à l’épaule droite, auquel il est tout égal ainsi qu’à l’Esprit-Saint (déplacement horizontale et symétrique de la main).

Ce signe d’après une autre interprétation exprimerait que par la Sainte Trinité (3 doigts) sont sanctifiées nos pensées (front à nos sentiments et nos désirs (poitrine) est nos actes (épaules). Le tout nous rappelle que le Christ nous a sauvés et rachetés par ses souffrances sur la croix.

Cette façon de faire le signe de la croix est la seule que l’Eglise ait connue pour bien longtemps. Puis au cours de l’histoire de l’Eglise ont apparu bien des déformations : Ainsi les Monophysites se signent avec un doigt, les latins d’Occident et les Maronites d’Orient avec cinq.

Enfin la secte russe Raskolnilas avec deux doigts. De même l’habitude occidentale de passer d’abord la main à l’épaule gauche n’est pas moins récente. Car ce n’est que vers le Xème siècle que le peuple s’habitua à se signer du ceux duquel, de face, il recevait la Bénédiction du prêtre.

Or il est évident que l’on s’habitue à faire des signes de croix, comme on s’habitue à jouer du piano. Et partout où entre l’habitude disparait considérablement l’intelligence. Là réside le plus grand danger de la pratique orthodoxe de se signer à toute occasion.

Malgré ce danger, il reste que cette pratique est foncièrement orthodoxe et qu’elle nous vient d’un long passé de tradition en liaison avec les « métanies » qui l’accompagnent souvent. Or, ce geste que nous esquissons naturellement et comme par besoin, plutôt qu’inconsciemment et à la légère, fait partie intégrante de notre moi religieux et sa pratique fréquente relève à un certain point le fond de l’âme orthodoxe : Une spontanéité dans l’amour ; un fond de crainte dans l’adoration, fait du sentiment de notre petitesse en face de la Toute Puissance Divine ; une candeur dans la foi qui est peut-être le tout de la vraie foi, et qui consiste à croire démesurément en l’efficacité de telle parole ou de tel geste en l’intervention toujours possible, de Dieu fut-ce par un miracle.

De plus, loin de le vider de tout sens, notre pratique élargit la portée de ce symbole : le signe de croix, marque de notre salut et de notre sanctification, expression vivante de notre foi, devient aussi complètement naturel de l’adoration et de la prostration marque de respect au Saint nom du Dieu Trine, auxiliaire puissant dans les dangers de la détresse. Et c’est avec raison que, représentant la victoire sur la mort et le pêché, nous traçons ce signe au commencement et à la fin de toutes nos actions.

Ainsi que certains considèrent comme une image de « respect » nous apparait à ce point de vue comme une marque de foi et d’amour. Mais la vérité est que nous devrons à Dieu autant de respect que d’Amour, autant de révérence que d’intimité. Or les scrupules des uns, et la largesse de certains autres quant à la pratique du signe de croix, risquent de faire disparaitre au profit de l’autre, l’un de ces deux traits essentiels de la vraie piété.

La conclusion pour nous, chrétiens est que, ayant compris le sens et le symbolisme étendus et profonde de signe de notre Rédemption nous ne fassions désormais qu’avec le sentiment intime de ce qu’il représente et un sincère amour et respect pour celui dont il représente la vie, la doctrine et la mort. Car c’est du signe de la croix qu’il a été écrit : « sur nous, Seigneur, s’est imprimée la lumière de ta Face ».

 

  1. LAHAM

LUMIERE 25-09-1943

 

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